Le papillon et la flamme

Le Langage des Oiseaux

Attar Nishabouri (traduction de Garcin de Tassy, Ed. Albin Michel)

Une nuit, les papillons se réunirent,
tourmentés du désir de s’unir à la bougie.
Tous dirent : « Il faut trouver quelqu’un
qui puisse nous donner des nouvelles de l’objet de notre amoureuse recherche. »
Un papillon alla jusqu'à un château lointain,
et il aperçut dans l’intérieur la lumière de la bougie.
Il revint et rapporta ce qu’il avait vu ;
Il se mit à faire la description de la bougie selon la mesure de son intelligence.


Mais le sage papillon qui présidait la réunion
exprima l’opinion que le papillon explorateur ne savait rien sur la bougie.


Un autre papillon alla passer auprès de la lumière et s’en approcha.
Il toucha de ses ailes la flamme, la bougie fut victorieuse et il fut vaincu.
Il revint lui aussi, et il révéla quelque chose du mystère en question.
Il expliqua un peu en quoi consistait l’union avec la bougie ;
mais le sage papillon lui dit : 
«Ton explication n’est pas plus exacte que celle qu’a donnée ton compagnon. »


Un troisième papillon se leva ivre d’amour ;
il alla se jeter violemment sur la flamme de la bougie :

lancé par ses pattes de derrière, il tendit en même temps celles de devant vers la flamme.
Il se perdit lui-même et s’identifia joyeusement avec elle ;
il s’embrasa complètement
et ses membres devinrent rouges comme le feu.
Lorsque le sage papillon (chef de la réunion) vit de loin que la bougie avait identifié l’insecte à elle
et lui avait donné la même apparence, il dit :
« Le papillon a appris ce qu’il voulait savoir ;
mais lui seul le comprend, et voilà tout. »


Celui en effet qui n’a ni trace ni indice de son existence
sait réellement plus que les autres au sujet de l’anéantissement.


Tant que tu n’ignoreras pas ton corps et ton âme,
connaîtras-tu jamais l’objet de ton amour ?
Celui qui t’a donné le moindre indice de la chose
plonge profondément par là ton âme dans le sang ;
mais, puisque le souffle même n’est pas admis ici,
personne, à plus forte raison, ne peut l’être.